Répression du mouvement pour l’éducation au Chili
Jeudi 4 août, Valparaiso, 23h – Ayant vu passer peu d’infos en français sur les évènements actuels au Chili, je me permets de publier ce texte, qui vise à vous donner une idée de ce qui se passe ici…
LE CONTEXTE : UNE MOBILISATION MASSIVE ET DURABLE DU SECTEUR DE L’ÉDUCATION
Les étudiants et lycéens, mobilisés depuis trois mois pour le droit à l’éducation, subissent une répression qui ne cesse de s’intensifier. Leur principale revendication est la création d’un véritable service public d’éducation, gratuit et de qualité, mettant fin au profit dans le secteur éducatif et à l’endettement comme passage obligé pour financer leurs études.
Leur mouvement a connu plusieurs journées de manifestations d’une ampleur inédite depuis le départ du dictateur Pinochet en 1990, auxquelles s’ajoutent les occupations d’universités et de lycées, et d’innombrables actions dans tous le pays : flash-mob chorégraphique face au palais présidentiel de La Moneda ; course de relais autour de ce même palais, d’une durée de 1800 heures, correspondant aux 1800 millions de dollars annuels qui permettraient de garantir l’éducation gratuite ; die-in ou assemblées sur la voie publique ; tentatives d’installation de campement à la manière « Puerta del Sol » ; blocage des principaux axes des villes avec des barricades…
Le gouvernement a donc dû faire des propositions, et a même fait quelques pas timides vers une réforme de la Constitution afin d’y inscrire le droit à l’éducation… Mais les réponses restent largement en-deçà des exigences portées par le mouvement : saupoudrage de quelques bourses et facilitation des prêts étudiants (encore ! ), jeu avec les chiffres pour des crédits supplémentaires dont on ignore sur combien de temps ils s’étalent (méthode éprouvée en France par Valérie Pécresse, vague promesse d’un meilleur contrôle sur les profits des établissements privés — qui rappelle celle de moraliser l’industrie financière…
Ce qui se passe ici est important et sûrement historique, par l’ampleur de la mobilisation, sa diversité et ses différentes « radicalisations »… Par la violence de la répression… Mais aussi en raison de l’importance des débats, qui au-delà du droit à l’éducation — déjà crucial — interrogent la répartition et l’utilisation des richesses (notamment celles issues des activités minières) et la représentativité d’un système politique largement hérité du régime pinochetiste. Petit détail : un sondage sorti hier donne 26 % d’opinion favorable au Président Piñera, le résultat le plus bas depuis le retour à la « démocratie ».
Les étudiants ont reçu l’appui d’autres secteurs mobilisés, comme les employés portuaires menacés par une réforme centralisatrice qui risque de détruire de nombreux emplois, ou les mineurs qui demandent la renationalisation du cuivre (comme l’avait fait Allende).
Répression et réaction spontanées
La mobilisation se poursuit donc, et de nombreuses manifestations avaient lieu aujourd’hui dans tout le pays. Mais le gouvernement est passé à un nouveau stade de répression, et a décidé d’interdire les manifestations, en particulier dans le centre de Santiago. Ainsi, les lycéens qui ont tenté de se réunir ce matin pour manifester dans la capitale se sont heurtés à un millier de policiers, leur empêchant l’accès à l’emblématique Plaza Italia. S’en sont suivis de violents affrontements, dans une ville en état de siège, qui ont débouchés sur de nombreuses arrestations dans une pluie de gaz lacrymogènes et de coups de matraque.
À Valparaiso, les flics ont empêché les manifestants d’avancer vers le Congrès national, barrant la route avec de nombreux véhicules tirant eau et gaz lacrymogènes. Comme lors des manifestations précédentes, les manifestants ont alors occupé les avenues principales du centre-ville, parfois accompagnés d’une fanfare bon-enfant, à d’autres endroits en élevant des barricades. Les policiers les ont délogé violemment mais ont connu quelques problèmes d’effectifs, recevant même en fin d’après-midi l’appui de la police militaire chargée de protéger le port…
À 18h30, une seconde manifestation était prévue à Santiago, appelée par les étudiants et professeurs. Elle était également interdite, et la tension est montée d’un cran : les étudiants qui tentaient de rejoindre la Alameda (avenue centrale de Santiago) afin de manifester, ont été repoussés par la police avec des grenades lacrymogènes en grande quantité. Depuis, des barricades s’élèvent sur les grandes artères de la capitale.
Un groupe d’étudiants (plus de 200) a occupé pendant une heure les locaux de la chaîne Chilevision, qui appartenait au président Piñera jusqu’à son élection. Ils ont été délogé par la police à l’instant. Le nombre officiel d’arrestations dans tout le pays s’élève maintenant à 552, et les autorités annoncent également 29 policiers blessés.
Un groupe de députés et sénateurs de l’opposition parlementaire (communistes, socialistes et démocrates-chrétiens) annonce un recours constitutionnel contre le ministre de l’Intérieur, pour la violation des libertés de réunion, de manifestation et d’expression.
21H00. Les étudiants ont appelé dans la soirée à un « cazerolazo » et de nombreux habitants de la capitale font du bruit avec poêles et casseroles, dans la rue ou par les fenêtres… La même scène se déroule à Valparaiso et probablement dans d’autres villes du pays : les gens sortent spontanément, souvent en famille, pour manifester leur refus face à la répression et soutenir le mouvement. Cette forme de mobilisation rappellent les années de dictature, où elle était utilisée par la population pour exprimer son mécontentement depuis les fenêtres malgré les interdictions de manifester.
22h30. Les barricades brûlent encore dans Santiago, ainsi qu’un grand magasin. Dans le centre, les lacrymos rendent l’air irrespirable, et les ambulances évacuent des personnes évanouies.
ÀA Valparaiso, en début de soirée, une centaine d’étudiants a essayé de manifester en direction du Congrès, et s’est heurtée à la police.
Indymedia Paris, 5 août 2011.